Canada: Condom use no defence for HIV exposure liability

Conviction

February 25, 2008
Source: The Edmonton Sun.

It appears that the news report below got this case completely wrong, and that the law in Canada has not changed by stealth.

Critically, the complainant was being tried for HIV exposure (sexual assault and aggravated assault) for a single instance of sex without disclosure. Although condoms were used in later sexual encounters, that was not considered relevant.

The trial, therefore, was a ‘he said/she said’ situation: he said she hadn’t used a condom, she said she had. The court believed him, and so she was found guilty.

Para [159]: Toutefois, meme si la crédibilité du plaignant est minée, le Tribunal est d’avis qu’il y a au dossier un élément de preuve indépendant qui permet d’inférer qu’il n’y a pa eu usage de condom venant ainsi corroborer le témoignage du plaignant sur ce point.

[Unofficial translation : Even if the credibility of the complainant is weakened, the Court is of the opinion that there is in this case an element of independent proof that permits the inference that there was no use of a condom, which corroborates the complainant’s testimony on this point.]

Para [171] Quoiqu’il en soit, le Tribunal est d’avis que la conduite de l’accusée, lors de sa rencontre avec le Dr. K___, le 31 août 2000, permet d’inferer qu’il y a eu relation sexuelle non protégée dans le présent dossier.

[Unofficial translation : Whatever the reason [referring to some speculation by the Court just above about why the accused might have said the things the doctor recorded her as saying], the Court is of the opinion that the conduct of the accused, in her encounter with Dr. K____ on August 31, 2000, permits the inference in this case that there was an unprotected sexual relation.] (emphasis added)

So the judgement

Ce passage démontre clairement, de l’avis du Tribunal, que les personnes séropositives ont deux responsabilités fondamentales :

92.1. d’abord, aviser leur partenaire de leur séropositivité; et,

92.2. ensuite, de s’assurer que leurs rapports sexuels présentent le moins de risques possible.

[93] Dans le présent dossier, cette première responsabilité n’a pas été rencontrée. L’accusée n’a pas informé son partenaire de sa séropositivité avant d’avoir une première relation sexuelle.

[Unofficial translation: This passage (from the Supreme court judgment in R v Cuerrier previously quoted) demonstrates, in the opinion of the Tribunal, that HIV-positive people have two fundamental responsibilities.
92.1 first of all, to tell their partner of their HIV status
92.2 then, to ensure that their sexual relations carry as little risk as possible.
[93] In the present case the first responsibility was not met. The defendant did not inform her partner of her seropositivity before having a first sexual intercourse.]

is consistent with Cuerrier.

Still, it’s not surprising the initial media report got it wrong: it’s a complicated issue!


Original posting:
Breaking news just in from Quebec, Canada. I’ll have more on this as soon as I can get the judgment translated from the original French (it is below, FYI).

Basically, a Quebec court has ruled that condom use without disclosure remains assault. This appears to contradict the Canadian Supreme Court ruling in R v Cuerrier which said “the careful use of condoms might be found to so reduce the risk of harm that it could no longer be considered significant,” although some may say it simply clarifies things.

This ruling suggests that all HIV-positive people in Canada who don’t disclose – and therefore obtain informed consent from the HIV-negative partner – are now potentially guilty of assault.

This is the story from The Edmonton Sun.

Protected sex proves no defence
Fri, February 15, 2008

A Quebec woman was found guilty of assault charges yesterday for failing to inform her sexual partner that she was HIV-positive, even though they had protected sex.

In finding the woman guilty of both sexual assault and aggravated assault, a judge ruled she had the responsibility to warn her boyfriend.

“People who are HIV-positive have the fundamental responsibility to tell their partner and to ensure that their sexual relations carry as little risk as possible,” the judgment read.

Quebec’s Health Department took issue with the ruling, saying it sent the wrong message to society about victims of HIV and AIDS.

“We can [sic] criticize someone for being negligent, if by their action they never put another person at risk,” said spokesman Helene Gingras.

Surely Ms Gingras’ quote should have read: “We can’t criticize someone for being negligent, if by their action they never put another person at risk”?

The full court judgment, in French, is below.

R c DC 2008 QCCQ 629

Accusations de voies de fait graves et agression sexuelle

Accusée séropositive qui ne le déclare pas avant d’avoir une relation sexuelle avec le plaignant

La relation fut-elle ou non protégée?

Analyse des arrêts R. c. Cuerrier et R. c. Williams

Question de crédibilité

Déclaration de culpabilité sur les deux chefs

2008 QCCQ 629

COUR DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE LONGUEUIL

LOCALITÉ DE LONGUEUIL

« Chambre criminelle »

N° : 505-01-058007-051

DATE : Le 14 février 2008

______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARC BISSON, J.C.Q.

______________________________________________________________________

LA REINE

Poursuivante

c.

D… C…

Accusée

______________________________________________________________________

JUGEMENT

______________________________________________________________________

[1] Le Tribunal rappelle d’abord que le présent dossier fait l’objet d’une ordonnance qui interdit d’identifier l’accusée autrement que par ses initiales. Le Tribunal prononce également une ordonnance visant à interdire de référer aux différents témoins idoines entendus autrement que par leurs initiales également.

[2] L’accusée, qui a appris qu’elle était séropositive en 1991, a-t-elle eu, entre le 24 juin et le 31 août 2000, une ou plusieurs relations sexuelles non protégées avec le plaignant, sans lui révéler son état de santé?

[3] La dénonciation portée contre l’accusée se lit ainsi :

  1. Entre le 24 juin 2000 et le 31 août 2000, à ville A et à Montréal, district de Longueuil et district de Montréal, a commis des voies de fait graves contre J… P…, en mettant sa vie en danger, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 268 du Code criminel;
  2. Entre le 24 juin 2000 et le 31 août 2000, à ville A et à Montréal, district de Longueuil et district de Montréal, a agressé sexuellement J… P…, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 271(1) a) du Code criminel.

LES FAITS

[4] Les faits, pour l’essentiel, peuvent se résumer ainsi.

[5] L’accusée a appris en 1991, dans des circonstances que nous pourrions qualifier de dramatiques, qu’elle était séropositive.

[6] Avant de rencontrer J… P… (le plaignant), à l’été 2000, elle a eu trois relations significatives et, avant d’avoir des relations sexuelles avec les partenaires impliqués dans ces relations antérieures, elle les a informés de sa condition médicale.

[7] L’accusée et le plaignant se sont connus pendant la saison de soccer, alors que leur fils respectif pratiquait ce sport. Leur première rencontre, que l’accusée situe au début juillet 2000, a été suivie par d’autres, toujours au terrain de soccer. Pendant la période visée par les dénonciations, leur relation évolue au point de devenir plus intime.

[8] C’est ainsi qu’ils auraient eu, selon le plaignant, plusieurs relations sexuelles non protégées. De son côté, l’accusée prétend qu’ils n’en ont eu qu’une seule et il y aurait eu usage d’un condom. Nous reviendrons sur ces questions plus loin.

[9] Il est cependant acquis que l’accusée n’a pas informé le plaignant de son état de santé avant leur première relation sexuelle.

[10] La preuve révèle hors de tout doute raisonnable que l’accusée n’avait pas encore informé le plaignant de son état de santé le 31 août 2000 au moment de sa visite à son médecin.

[11] Alors que le plaignant et l’accusée reviennent d’un pique-nique familial à ville B, que la preuve permet de situer au début de septembre 2000, S… K…, conjoint de l’accusée à l’époque, se rend à leur rencontre dans le but avoué d’informer le plaignant de la condition médicale de l’accusée.

[12] Celle-ci s’interpose pour empêcher S… K… de dévoiler sa condition médicale au plaignant. Elle dira simplement au plaignant qu’elle a quelque chose à lui dire et qu’elle le rappellera.

[13] C’est ainsi que deux jours plus tard, l’accusée appelle le plaignant et, à la suite de cet appel, elle se rend chez celui-ci. Il vient la rejoindre dans son véhicule.

[14] De l’aveu même de l’accusée, le dévoilement de sa condition médicale fut un choc pour le plaignant et il s’est écoulé quelques semaines avant qu’ils ne se revoient.

[15] Le contact suivant est initié par le plaignant, vers la fin septembre 2000. Peu après, le plaignant se rend près de la résidence de l’accusée et celle-ci vient le rejoindre à son véhicule.

[16] À la fin de cette rencontre, ils conviennent de poursuivre leur relation et s’embrassent. S… K…, qui est alors toujours le conjoint de l’accusée, passait par là et est témoin de cette scène. Le soir même, il quitte l’accusée.

[17] Comme nous sommes alors à la fin septembre 2000, il devient évident que le témoin J… C…, produit par la défense pour établir, entre autres, qu’elle a vu le plaignant chez l’accusée le 17 septembre 2000 et qu’ils faisaient alors vie commune ou se préparaient à le faire, se trompe.

[18] À la suite du départ de S… K…, le plaignant et l’accusée se sont engagés dans une relation qui prendra fin, en novembre ou décembre 2004, dans des circonstances sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Tout au long de cette relation, ils auront des relations sexuelles protégées.

[19] Le 26 octobre 2000, l’accusée dira à son médecin qu’elle a dévoilé son état de santé au plaignant qui l’a « bien pris ».

LA POSITION DES PARTIES

  1. a) Le procureur de la défense

[20] Il reconnaît, d’entrée de jeu, que la crédibilité que le Tribunal accordera aux parties est au cœur du présent litige puisque la version de chacun d’eux, bien que similaire sur plusieurs aspects, diverge sur les points suivants :

20.1. le nombre de relations sexuelles qu’ils ont eues avant le dévoilement;

20.2. l’usage ou non d’un condom;

20.3. le ou les lieux où ont eu lieu ces relations sexuelles;

20.4. la façon dont la relation des parties a pris fin en novembre ou décembre 2004.

[21] Selon lui, la version du plaignant sur ces éléments n’est pas crédible et il réfère le Tribunal aux éléments suivants pour appuyer ses dires :

21.1. l’endroit où a eu lieu la première relation sexuelle : après avoir mentionné que celle-ci a eu lieu au motel, il mentionne, plus tard, que c’est chez lui qu’elle s’est déroulée;

21.2. dans sa déclaration du 11 février 2004, le plaignant mentionne qu’ils ont eu des rapports sexuels à trois endroits : chez lui, chez l’accusée et au motel alors qu’il mentionne, dans son témoignage, qu’il a eu des relations sexuelles avec l’accusée, toujours avant la divulgation, à deux endroits : chez lui et à l’hôtel ;

21.3. le plaignant, lorsqu’il porte plainte contre l’accusée, à la suite de la rupture, mentionne aux policiers avoir été infecté alors que c’est faux ;

21.4. le long délai avant de porter plainte aux policiers;

21.5. cette plainte a été portée à la suite de la rupture du couple, rupture survenue dans une situation difficile, à la suite de l’hospitalisation de l’accusée et à la suite d’événements de violence qui ont conduit le plaignant devant le Tribunal à titre d’accusé, événements pour lesquels il a été déclaré coupable de voies de fait contre le fils de l’accusée;

21.6. le plaignant en « mettait » lors de son témoignage et avait une nette tendance à l’exagération.

[22] Il est d’avis que la version de l’accusée est crédible et que le Tribunal devrait la croire quand elle mentionne n’avoir eu qu’une seule relation sexuelle avec le plaignant avant le dévoilement de son état de santé et que celle-ci fut protégée.

[23] Il souligne que le comportement de l’accusée, après avoir appris qu’elle avait été infectée par le VIH en 1990, a toujours été responsable. Elle a pris soin de son enfant et a même vu à lui assurer un toit si jamais elle devait décéder de cette maladie. Elle a parlé devant des écoliers, elle a travaillé à la création d’une ligne téléphonique pour aider les gens dans la même situation qu’elle, elle a une peur phobie d’être elle-même contaminée par des gens malades puisque son système immunitaire est à risque. Selon lui, il est impensable que celle-ci n’utilise pas de condom, ne serait-ce que pour ne pas risquer elle-même l’exposition à des maladies transmises sexuellement.

[24] Pour toutes ces raisons, il est évident, selon lui, que le Tribunal ne peut retenir la version du plaignant qui dit avoir eu des relations sexuelles non protégées avec l’accusée.

[25] Il est d’avis qu’il n’y a eu qu’une seule relation sexuelle avant le dévoilement bien que l’accusée ait, au cours de son témoignage, utilisé l’expression « des relations sexuelles », expression que le procureur explique par son état de nervosité au moment de témoigner et qu’elle a clarifiée, selon lui, de façon satisfaisante.

[26] Il souligne que la réaction du plaignant au moment d’apprendre la maladie de l’accusée était fondée sur l’ignorance et la peur. D’ailleurs, lorsqu’il fut informé des risques réels lors de relations sexuelles protégées, il n’a pas eu peur d’avoir d’autres relations sexuelles avec la plaignante.

[27] Il réfère aux témoignages des experts quant au risque qu’encourt une personne séronégative lors d’une relation sexuelle protégée avec une personne séropositive. Selon lui, le risque ainsi encouru n’est pas le risque auquel réfère la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Cuerrier[1], si évidemment le Tribunal retient le témoignage de l’accusée selon lequel il y a eu usage du condom.

[28] Il réfère le Tribunal aux paragraphes 116 et 124 de l’arrêt R. c. Cuerrier, précité, et souligne que l’emploi, par la Cour Suprême, du mot « peut » dans ces paragraphes est significatif et ne permet pas de conclure qu’il y a une obligation de divulguer dans tous les cas.

[29] Il est d’avis que l’obligation de divulgation est nécessaire lorsqu’une personne, qui se sait infectée, s’engage dans une relation sexuelle non protégée avec une personne qui n’est pas infectée.

[30] Il souligne que dans les arrêts R. c. Cuerrier, précité, et R. c. Williams[2], les accusés savaient qu’ils mettaient leurs partenaires à risque en ayant des relations sexuelles non protégées, alors que dans notre dossier, la situation est très différente, pour autant évidemment que le Tribunal retienne le témoignage de l’accusée selon lequel elle n’a eu qu’une relation sexuelle, protégée, avant qu’elle ne dévoile son état de santé au plaignant.

[31] Selon lui, l’accusée a été induite en erreur relativement aux risques qu’elle faisait courir à des partenaires éventuels en ne dévoilant pas son état de santé puisque, d’après toutes les informations qu’elle avait reçues sur sa condition, elle croyait qu’elle n’avait pas à divulguer sa séropositivité si elle avait des rapports sexuels protégés.

[32] Quant à la rencontre de l’accusée avec le Dr Klein, le 31 août 2000, il soumet que l’accusée, lors de cette rencontre, pose beaucoup de questions, incluant des questions sur la possibilité du bris d’un condom et qu’il est possible que les notes du Dr Klein soient erronées.

[33] Dans le présent dossier, il y a absence d’actus reus et de mens rea de sorte que l’accusée devrait être acquittée des deux chefs d’accusation portés contre elle.

  1. b) La procureure de la Poursuivante

[34] Elle allègue que le risque est une question de degrés.

[35] Elle est d’avis que l‘actus reus survient au moment où le geste est posé, soit lorsque la relation sexuelle est consommée sans qu’il n’y ait eu, au préalable, par la personne infectée, divulgation de son état de santé.

[36] Elle est d’avis que le fait pour le plaignant d’avoir pu être rassuré à la suite du dévoilement ne change rien à la question initiale du dévoilement. Il lui fallait cette information avant de s’engager dans une première relation sexuelle, ce qu’il n’a pas eu.

[37] Sur la question de la crédibilité, elle est d’avis que si le Tribunal reprend les enseignements de la Cour Suprême dans l’arrêt R. c. W.(D.)[3] et croit l’accusée, celle-ci doit être déclarée coupable parce que, ce faisant, elle a ainsi obtenu le consentement du plaignant par fraude et l’a exposé au risque décrit dans les arrêts R. c. Cuerrier et R. c. Williams, précités.

[38] Le plaignant a clairement indiqué qu’il n’aurait pas eu de relations sexuelles avec l’accusée s’il avait été mis au courant, au préalable, de son état de santé.

[39] Bien qu’elle soit consciente du risque de rejet advenant le dévoilement de la condition médicale avant d’avoir des relations sexuelles, elle souligne que le risque à prendre n’appartient pas à l’accusée, mais plutôt au plaignant : c’est à lui de décider s’il veut assumer ou non ce risque.

[40] Pour ce faire, il doit être informé non seulement de la condition médicale de la personne avec laquelle il prévoit avoir des relations sexuelles, mais aussi bien renseigné sur les conséquences d’une telle décision.

[41] Elle soumet que le délai à porter plainte dans le présent dossier n’est pas pertinent.

[42] Elle souligne qu’il y a des contradictions dans le témoignage du plaignant, mais celles-ci portent plutôt sur des détails, tels le lieu où ont eu lieu les relations sexuelles et le nombre de celles-ci, et n’affectent en rien sa crédibilité généralement.

[43] Elle mentionne que le témoignage de l’accusée est cousu de fil blanc et que l’ensemble de son témoignage rend sa version invraisemblable.

[44] Pourquoi a-t-elle dévoilé sa condition médicale à ses trois partenaires antérieurs avant même que ne survienne leur première relation sexuelle alors qu’elle ne l’a pas fait avec le plaignant actuel?

[45] Que penser de la relation sexuelle d’avril 2004 que l’accusée tente d’imputer au plaignant? Selon elle, cette relation n’a jamais eu lieu. Les explications offertes par l’accusée sont confuses et nébuleuses, sans compter que celle-ci se perd dans ses explications sur cette relation sexuelle.

[46] Que penser des explications offertes par l’accusée pour expliquer son comportement lorsque S… K… veut révéler au plaignant la condition médicale de celle-ci?

[47] Comment croire qu’elle veut travailler sur son couple (avec S… K…) et qu’en même temps elle s’en va en pique-nique avec le plaignant à ville B?

[48] Comment croire que la relation avec le plaignant constitue une aventure sans lendemain alors que les faits et gestes de l’accusée pendant cette période démontrent tout le contraire?

[49] Pourquoi vouloir dévoiler sa condition médicale s’il s’agit d’une histoire sans lendemain entre les deux?

[50] Comment croire qu’il n’y a eu qu’une relation sexuelle avant le dévoilement de sa condition médicale alors qu’elle mentionne qu’il y a clairement une attirance sexuelle entre les deux?

[51] Comment croire l’accusée lorsqu’elle mentionne que la première rencontre à laquelle assiste le plaignant avec le Dr Klein survient en 2003 alors que la preuve se veut tout autre : les témoignages du plaignant et du Dr Klein démontrent que la rencontre a plutôt eu lieu avant le 6 mars 2001 ?

[52] Comment croire que les notes du Dr Klein, prises à la suite de la rencontre du 31 août 2000, sont erronées? Il est invraisemblable de croire que ces notes seraient le résultat d’une mauvaise compréhension entre le Dr Klein et l’accusée.

[53] Comment croire l’accusée lorsqu’elle dit que c’était l’enfer à la maison en novembre 2004? Si tel était le cas, pourquoi avoir attendu jusqu’au 13 décembre 2004 pour sortir son fils de là? Si tel est le cas, comment expliquer qu’elle n’ait pas nié les rapports sexuels qu’ils auraient eus lors de la fin de semaine en décembre 2004? Si tel est le cas, comment expliquer qu’elle ait, sur la pièce P-4, mentionné « encore avec amour »? Si tel est le cas, pourquoi se rend t-elle au domicile familial en décembre 2004, seule avec son fils, alors qu’ils en ont tous les deux peur?

[54] Elle estime que les explications offertes par l’accusée pour répondre à ces questions sont déraisonnables, voire même invraisemblables. De plus, elles se révèlent en complète contradiction avec le témoignage qu’elle a offert devant le Tribunal.

[55] Elle est d’avis que les agissements de l’accusée pendant cette période de novembre et décembre 2004 démontrent qu’il y a de la vraisemblance dans la théorie du complot allégué par le plaignant.

[56] Que penser de la question morale soulevée par l’accusée pour ne pas avoir de relations sexuelles avec le plaignant chez elle alors que S… K… a quitté le logement en juillet 2000? Elle est d’avis que c’est invraisemblable si l’on considère qu’elle continue la relation avec le plaignant alors qu’elle vit toujours avec S… K… à la suite de son retour (avant le pique-nique à ville B). Pourquoi n’y a-t-il plus de question morale à ce moment?

[57] Si on ajoute à cela qu’elle parle de cette relation comme d’une relation « sans lendemain », il faut sérieusement se questionner sur sa crédibilité.

[58] Comme elle prétend toujours utiliser des condoms, pourquoi, si le souper est pour parler de condoms, ne pas en avoir avec elle? Elle est d’avis que le Tribunal ne doit pas croire l’accusée lorsque celle-ci mentionne qu’ils ont utilisé un condom lors de cette relation sexuelle.

[59] Elle est d’avis que lorsque l’accusée témoigne de « ses » relations sexuelles, elle parle de plus d’une puisqu’elle en parle au pluriel. Conséquemment, le Tribunal devrait retenir la version du plaignant sur ce sujet et conclure qu’il y a eu plus qu’une relation sexuelle avant le dévoilement et que celles-ci étaient non protégées. Ceci, dit-elle, corrobore le témoignage du plaignant.

[60] Elle est d’avis que pour l’accusée, à ce moment précis, les pulsions sexuelles ont pris le dessus. Il ne s’agissait plus d’une question rationnelle. C’est plutôt l’attirance sexuelle qui primait et, en conséquence, elle a mis de côté toutes les choses apprises.

[61] Même si le témoignage du plaignant contient certaines contradictions, il mérite d’être cru et démontre hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusée sur les deux chefs d’accusation portés contre elle.

[62] Sur la notion de risque, elle considère que le témoignage du Dr Routy est tout à fait contraire aux enseignements de la Cour suprême et elle ajoute qu’il est faux de laisser croire que le choix du moment de dévoiler sa condition revient à la personne infectée.

LE DROIT

[63] Les articles 265, 268 (1) et 271 (1) du Code criminel se lisent ainsi:

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

  1. c) soit de la fraude;

268 (1) Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le

plaignant ou met sa vie en danger.

271 (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

  1. a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
  2. b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

[64] La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Cuerrier, précité, a eu à répondre à la question suivante : « le consentement d’une plaignante à des rapports sexuels non protégés est-il vicié par une fraude lorsque son partenaire sait qu’il est séropositif et qu’il ne le lui dit pas ou l’induit délibérément en erreur à ce sujet » (paragraphe 77)? (Soulignés du soussigné).

[65] Dans cette affaire, l’accusé faisait l’objet de deux chefs d’accusation de voies de fait graves. Il incombait à la Poursuivante de prouver :

65.1. que les actes de l’accusé avaient mis en danger la vie du plaignant;

65.2. que l’accusé avait, d’une manière intentionnelle, employé la force contre le plaignant sans son consentement.

[66] Selon la Cour suprême, il n’y a pas de doute que :

95 …l’intimé a mis en danger la vie des plaignantes en les exposant au risque d’être infectées par le VIH en ayant avec elles des rapports sexuels non protégés. Aucune autre conclusion n’est possible compte tenu des conséquences potentiellement mortelles d’une telle infection. De plus, il n’est pas nécessaire d’établir que les plaignantes ont effectivement été infectées par le virus. Il n’y a pas d’exigence préalable qu’un préjudice ait réellement résulté. Le risque important auquel les rapports sexuels non protégés ont exposé la vie des plaignantes satisfait à la première condition du par. 268(1). (Soulignés du soussigné).

[67] Quant au consentement, la Cour suprême est d’avis qu’il y a :

124 …maintenant lieu de considérer que le fait pour l’accusé de dissimuler ou de ne pas divulguer sa séropositivité peut constituer une fraude susceptible de vicier le consentement à des rapports sexuels. (Souligné du soussigné).

[68] Quelles sont les conditions pour qu’il y ait fraude? La Cour suprême les énonce ainsi :

126 La première condition pour qu’il y ait fraude est la preuve de la malhonnêteté. Selon les dispositions de l’art. 265, l’acte ou le comportement malhonnête doit avoir trait à l’obtention du consentement aux rapports sexuels, en l’occurrence des rapports non protégés. Les actes de l’accusé doivent être appréciés objectivement afin d’établir s’ils seraient considérés comme malhonnêtes par une personne raisonnable. L’acte malhonnête est soit une supercherie délibérée concernant la séropositivité, soit la non-divulgation de cet état de santéLa mort est la conséquence possible de rapports sexuels non protégés avec un partenaire séropositif. Dans ces circonstances, il n’y a aucune raison d’établir une distinction entre les mensonges et l’omission délibérée de divulguer.

127 …Il ne peut y avoir de consentement véritable s’il n’y a pas eu divulgation par l’accusé de sa séropositivité. Le consentement qui n’est pas fondé sur la connaissance d’importants facteurs pertinents n’est pas valide. L’obligation de divulguer augmentera avec les risques que comportent les rapports sexuels… Dans ces circonstances, il existe une obligation absolue de divulguer. La nature et l’étendue de l’obligation de divulguer, s’il en est, devront toujours être examinées en fonction des faits en présence.

128 La deuxième condition de l’existence d’une fraude est que la malhonnêteté entraîne une privation sous forme de préjudice réel ou, simplement, de risque de préjudice. Un préjudice ou risque de préjudice insignifiant ne satisfera pas toutefois à cette condition dans les cas d’agression sexuelle où l’activité aurait été consensuelle si le consentement n’avait pas été obtenu par fraude… Que faudrait-il alors? À mon avis, le ministère public devra établir que l’acte malhonnête (les mensonges ou l’omission de divulguer) a eu pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves. Le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisferait clairement à ce critère…

129 Les relations sexuelles avec une personne séropositive comporteront toujours des risques. Il se peut que les relations sexuelles qui ne comportent absolument aucun risque soient impossibles. Toutefois, on pourrait juger que l’utilisation prudente de condoms réduit tellement le risque de préjudice que celui-ci ne serait plus considéré comme important, de sorte qu’il se pourrait qu’il n’y ait plus de privation ou de risque de privation. Encore une fois, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, il doit y avoir un risque important de lésions corporelles graves pour qu’il soit satisfait aux exigences de l’article. En l’absence de ces critères, il n’y aura aucune obligation de divulguer.

130 Dans des situations comme celle qui se présente en l’espèce, il faut souligner que le ministère public sera toujours tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la plaignante aurait refusé d’avoir des relations sexuelles non protégées avec l’accusé si elle avait été informée qu’il était séropositif. Aussi improbable que cela puisse paraître, il s’agit là d’une possibilité réelle. Pour reprendre les termes d’autres décisions, cette question se pose toujours. (Soulignés du soussigné).

[69] La Cour suprême poursuit :

135 … La fraude qui amène à consentir à un acte sexuel mais qui ne comporte pas ce risque important pourrait justifier des poursuites civiles. Cependant, elle ne devrait pas servir de fondement à une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle.

[70] À qui incombe la responsabilité première de la divulgation? Pour la Cour suprême, il est certain :

144 …que les personnes qui savent qu’elles sont séropositives ont la responsabilité fondamentale d’aviser leur partenaire de leur séropositivité et de s’assurer que leurs rapports sexuels présentent le moins de risques possible. …la responsabilité première de la divulgation doit incomber aux personnes qui savent qu’elles sont infectées. J’ose espérer que chaque membre de la société, quel que soit son degré de « marginalisation », est suffisamment responsable pour aviser son partenaire des risques en cause. En pareil cas, selon moi, on devrait pouvoir s’attendre à ce que la personne infectée avise son partenaire de son infection. Cette responsabilité ne peut être transmise à la légère à des membres de la société, tenus dans l’ignorance, que des personnes infectées courtisent, poursuivent et encouragent à devenir leur partenaire sexuel. (Soulignés du soussigné).

[71] La Cour suprême résume ainsi :

147 En résumé, la personne qui sait qu’elle est séropositive et qui a des rapports sexuels non protégés sans divulguer son état de santé à son partenaire peut être déclarée coupable de violation aux dispositions de l’art. 265 du Code criminel… Le Code criminel a toutefois un rôle à jouer. Grâce à la dissuasion, il protégera et contribuera à encourager l’honnêteté, la franchise et les pratiques sexuelles moins risquées. Si l’application du Code criminel nuit effectivement à la lutte contre le sida, il appartiendra au législateur de déterminer s’il y a lieu de réduire la protection accordée par le Code et de miser exclusivement sur les mesures en matière de santé publique pour lutter contre ce fléau.

[72] Le 18 septembre 2003, la Cour Suprême, dans l’arrêt R. c. Williams, précité, était confrontée à la question suivante : un accusé qui n’a pas révélé qu’il était séropositif peut-il être déclaré coupable de voies de fait graves mettant la vie en danger pour avoir eu des rapports sexuels non protégés avec une plaignante qui, au moment de l’infraction alléguée, pouvait elle-même être porteuse du VIH?

[73] La particularité de cette affaire réside dans le fait que la relation entre l’accusé et la plaignante avait déjà débutée et ceux-ci avaient des relations sexuelles avant même que l’accusé n’apprenne qu’il était séropositif, chose qu’il a appris quelques mois après le début de sa relation avec la plaignante et il a alors tu cette information à sa partenaire sexuelle et la relation s’est poursuivie une autre année sans que celle-ci ne sache que l’accusé avait obtenu un résultat positif à un test de VIH.

[74] Au paragraphe 28, la Cour suprême y va du commentaire suivant :

Lorsqu’une personne apprend l’existence d’un risque qu’elle ait contracté le VIH et que, par conséquent, la question du consentement de son ou de sa partenaire se pose, mais qu’elle persiste néanmoins, sans rien divulguer à son ou sa partenaire, à avoir des rapports sexuels non protégés susceptibles de lui transmettre le VIH, l’insouciance est établie.

[75] Pour qu’il ««y ait crime, «à un moment donné, l’actus reus et la mens rea ou l’intention doivent coïncider»». (paragraphe 35)

[76] La Cour suprême, après avoir référé à l’arrêt R. c. Ewanchuk[4] où avait été examiné la notion de consentement dans le contexte d’une agression ou de voies de fait, poursuit ainsi :

Il ne fait aucun doute que la plaignante n’a pas subjectivement consenti à avoir des rapports sexuels non protégés avec un partenaire séropositif. C’est ce qu’elle a déclaré dans son témoignage, et il n’y a aucune raison de mettre sa déclaration en doute.

[77] Pour justifier une condamnation sous l’article 268 du Code criminel, la Poursuivante doit établir tous les éléments constitutifs des voies de fait plus les circonstances aggravantes. Celles-ci proviennent des conséquences de l’infraction :

46 Le même acte d’agression sexuelle perpétré par un accusé séropositif pourrait sans aucun doute causer un préjudice à de nombreuses victimes potentielles ou les exposer à un risque, mais si, pour des raisons qui lui sont propres, une plaignante n’est pas mise en péril par l’agression ou les voies de fait, il n’y a pas de voies de fait graves… (Soulignés du soussigné).

47 …la mise en danger de la vie de la plaignante était un élément essentiel de la preuve qui incombait à la poursuite relativement à l’infraction de voies de fait graves.

[78] Au paragraphe 56, la Cour Suprême fait le constat suivant :

À n’en pas douter, la complexité de l’infection à VIH crée des difficultés dans une poursuite pour voies de fait graves. Il aurait été possible de porter d’autres accusations, comme celles d’agression sexuelle, par exemple.

[79] La condamnation pour tentative de voies de fait graves a été maintenue par la Cour suprême :

En ce qui a trait à l’actus reus le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments d’une agression sexuelle. Il a établi que l’intimé (i) avait fait subir à la plaignante un contact physique (ii) de nature sexuelle (iii) sans consentement valide.

[80] Et, au paragraphe 64, la Cour suprême conclut ainsi :

Le défaut de prouver que la vie de la plaignante avait été mise en danger était fatal quant à l’accusation de voies de fait grave, mais non quant à celle de tentative de voies de fait graves.

ANALYSE

[81] Certains constats s’imposent à cette étape. De l’avis du Tribunal, la preuve révèle, hors de tout doute raisonnable, indépendamment de la crédibilité accordée à l’accusée ou au plaignant, les éléments suivants :

81.1. il y a eu relation sexuelle consensuelle;

81.2. l’accusée n’a pas divulgué son état de santé avant celle-ci;

81.3. le 31 août 2000, le plaignant ignore encore tout de la condition médicale de l’accusée;

81.4. le pique-nique à ville B se situe au début septembre 2000 puisque c’est au retour de celui-ci que S… K… veut informer le plaignant de l’état de santé de l’accusée (manifestement, à ce moment, le plaignant ne le sait pas encore);

81.5. le plaignant l’apprendra dans les jours qui suivent le pique-nique à ville B, soit dans les premiers jours de septembre 2000 et les parties ne se reverront pas pour quelque temps ;

81.6. à la fin septembre 2000, le plaignant contacte l’accusée et ils se verront le jour même, suite à quoi ils reprendront leur liaison ;

81.7. le 26 octobre 2000, l’accusée informe le Dr Klein qu’elle a informé son nouveau partenaire de sa condition médicale et qu’il l’a « bien pris ».

[82] Y a-t-il eu consentement véritable par le plaignant dans le présent dossier au moment de la première relation sexuelle? De l’avis du Tribunal, la réponse à cette question est non.

[83] La Cour suprême, dans les arrêts R. c. Cuerrier et R. c. Williams, précités, fait reposer, à juste titre, sur les épaules de la personne infectée l’obligation d’informer son ou sa partenaire de son état de santé avant d’avoir des relations sexuelles avec celui-ci ou celle-ci.

[84] Le passage suivant de R. c. Cuerrier, laisse clairement voir que :

127 Sans divulgation de la séropositivité, il ne peut y avoir de consentement véritable. Le consentement ne peut se limiter uniquement au rapport sexuel. Il ne peut y avoir de consentement véritable s’il n’y a pas eu divulgation par l’accusé de sa séropositivité. Le consentement qui n’est pas fondé sur la connaissance d’importants facteurs pertinents n’est pas valide. L’obligation de divulguer augmentera avec les risques que comportent les rapports sexuels. (Soulignés du soussigné).

[85] La preuve démontre clairement que le plaignant n’aurait pas consenti à des rapports sexuels s’il avait su la condition médicale de l’accusée avant de s’y engager. Il a d’ailleurs témoigné en ce sens.

[86] Comme le souligne la Cour suprême dans le passage précédent, « le consentement qui n’est pas fondé sur la connaissance d’importants facteurs pertinents n’est pas valide ».

[87] La preuve démontre que le plaignant, au moment de consentir à la première relation sexuelle, n’était pas au courant de l’état de santé de l’accusée. Il s’agissait, de l’avis du Tribunal, d’un « important facteur pertinent ».

[88] Il n’y a donc pas de « consentement véritable » de la part du plaignant.

[89] La divulgation de son état de santé par l’accusée au plaignant après le 31 août 2000 et avant le 26 octobre 2000 ne peut, d’aucune façon, influencer rétroactivement sur l’état d’esprit du plaignant au début de la relation. Pendant la période qui s’étend du début de la relation jusqu’au moment du dévoilement, le plaignant pouvait raisonnablement croire que ni lui ni l’accusée n’étaient porteurs du VIH.

[90] Même s’il a consenti, après le dévoilement, à d’autres relations sexuelles, il l’a fait après avoir été clairement renseigné sur les conséquences et les risques de telles relations.

[91] Bien que certains pourraient voir dans ce comportement une forme de pardon et conclure qu’il serait dès lors inapproprié de sanctionner la conduite de l’accusée par une condamnation criminelle, le Tribunal ne peut se rendre à cet argument, car il banaliserait un comportement inacceptable, et ce, pour deux raisons :

91.1. d’abord, il ne faut pas oublier que lorsque le plaignant accepte d’avoir des relations sexuelles avec l’accusée, après le dévoilement par celle-ci de son état de santé, il le fait en toute connaissance de cause : non seulement est-il au courant de son état de santé, mais il est également au courant des risques qu’il encourt;

91.2. ensuite, il laisserait à la personne infectée le choix de le dire et également le moment de le dire. La Cour suprême dans l’arrêt R. c. Cuerrier, précité, stipule que :

144 …Il est certain que les personnes qui savent qu’elles sont séropositives ont la responsabilité fondamentale d’aviser leur partenaire de leur séropositivité et de s’assurer que leurs rapports sexuels présentent le moins de risques possible.

[92] Ce passage démontre clairement, de l’avis du Tribunal, que les personnes séropositives ont deux responsabilités fondamentales :

92.1. d’abord, aviser leur partenaire de leur séropositivité; et,

92.2. ensuite, de s’assurer que leurs rapports sexuels présentent le moins de risques possible.

[93] Dans le présent dossier, cette première responsabilité n’a pas été rencontrée. L’accusée n’a pas informé son partenaire de sa séropositivité avant d’avoir une première relation sexuelle.

[94] L’arrêt R. c. Cuerrier concernait un individu qui, alors qu’il était au courant de sa condition médicale, a eu des relations sexuelles non protégées avec des plaignantes alors qu’il ne leur avait pas dévoilé sa condition. Les plaignantes n’ont pas été infectées.

[95] L’arrêt R. c. Williams concernait quant à lui un individu qui, bien qu’il ignorait sa condition médicale au début de sa relation avec la plaignante a continué d’avoir avec celle-ci des relations sexuelles non protégées après l’avoir appris tout en ne lui dévoilant pas sa condition. Elle ne l’a appris que quelques années plus tard et elle était alors infectée.

[96] La Cour suprême, dans ces deux arrêts, était confrontée à des individus ayant eu des relations sexuelles non protégées avec des personnes sans les avoir informées au préalable de leur condition.

[97] Bien que la preuve soit contradictoire sur le nombre de relations sexuelles que l’accusée et le plaignant ont pu avoir avant qu’elle ne divulgue sa condition médicale, le Tribunal est d’avis que la question la plus fondamentale à résoudre à cette étape est la suivante : les relations sexuelles ont-elles été protégées ou non protégées?

[98] La preuve est contradictoire sur ce sujet : alors que le plaignant soutient qu’il n’y a pas eu usage d’un condom, l’accusée soutient qu’il y a eu usage d’un condom.

[99] Devant cette preuve contradictoire, il n’est pas inutile de rappeler les propos de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W.(D.), précité :

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

[100] Déterminer la crédibilité d’un témoin constitue, pour un tribunal, un exercice difficile qui tient davantage de la logique et du bon sens que de règles juridiques rigides[5]. Dans cet exercice, le Tribunal doit tenir compte de la conduite du témoin, de son comportement général, de son souci de renseigner le Tribunal, de sa sincérité, de sa franchise et de sa spontanéité, de la vraisemblance de ses propos.

[101] Le Tribunal peut retenir un témoignage dans son entier ou en retenir une partie seulement ou encore le rejeter dans sa totalité. La crédibilité de l’accusé s’apprécie comme celle de n’importe quel autre témoin. Cette détermination de la crédibilité de l’accusé doit se faire non pas dans un vacuum, c’est-à-dire en marge de la preuve faite, mais plutôt dans le contexte de la preuve dans son ensemble[6].

[102] Pour le Tribunal, conclure qu’un témoin est crédible signifie qu’il est digne de foi et qu’il mérite d’être cru.

[103] Est-ce que le Tribunal croit le témoignage de l’accusée?

[104] Lors de son témoignage, l’accusée a eu, à quelques reprises, des hésitations troublantes sur des sujets cruciaux. À d’autres occasions, elle a hésité dans ses réponses. Parfois, elle a plus qu’hésité, elle a plutôt tergiversé. Elle a aussi parfois changé sa version des faits ou nuancé ses propos.

[105] Les justifications qu’elle tente de donner à l’occasion suscitent plutôt l’incrédulité et la méfiance.

[106] Son témoignage est ponctué d’invraisemblances.

[107] Sa façon d’esquiver certaines questions et de ne pas répondre directement à d’autres questions, pourtant très claires, affecte également sa crédibilité.

[108] Elle tergiverse au moment d’expliquer les raisons pour lesquelles elle ne dit pas au plaignant, dès le début de leur relation, qu’elle est aussi en arrêt de travail.

[109] De plus, elle doit réfléchir longuement avant de pouvoir préciser le moment où elle lui a appris qu’elle était en arrêt de travail (notes sténographiques [ci–après n.s.] du 25 mai 2007, p. 161, 162).

[110] Après avoir dit que le plaignant lui a demandé ce qu’elle fait dans la vie, elle dit le contraire plus loin dans son témoignage (n. s. du 25 mai 2007, p. 79 et 161).

[111] Elle ne répond pas à certaines questions (n. s. du 25 mai 2007, p. 161).

[112] Elle tergiverse aussi au moment de répondre aux questions concernant la discussion qu’elle aurait eue avec le plaignant au sujet du condom lors du souper au restaurant, préalablement à leur première relation sexuelle.

[113] Elle ne répond pas lorsqu’on lui demande pourquoi elle n’a pas apporté de condom alors qu’elle sait pertinemment que la soirée se terminera vraisemblablement par une relation sexuelle (n. s. du 25 mai 2007, p. 167 et 168).

[114] Elle tergiverse au moment d’expliquer si elle a ou non remis, en mains propres, à S… K…, le document qui le dégage de toute responsabilité quant au bail (n. s. du 25 mai 2007, p. 156).

[115] Pourquoi, alors que le plaignant lui parle de son propre état de santé dès leur première rencontre, ne pas saisir l’occasion pour lui parler de sa condition médicale?

[116] Pourquoi l’avoir révélée à ses trois partenaires antérieurs avant d’avoir une première relation sexuelle avec eux, mais pas au plaignant?

[117] C’est au moment d’avancer une réponse à cette question que l’accusée évoque la possibilité que la relation avec le plaignant puisse être « une aventure d’un soir ». La suite des évènements va démontrer que cette théorie ne résiste pas à l’analyse et ne servait, en fin de compte, qu’à tenter de justifier son incurie d’avoir caché au plaignant sa condition médicale.

[118] Sa tendance à vouloir minimiser sa relation avec le plaignant au début est également un facteur qui affecte sa crédibilité.

[119] Sa réaction lorsqu’elle constate que S… K… veut divulguer au plaignant sa condition est un autre facteur qui affecte sa crédibilité.

[120] Elle tergiverse également au moment d’expliquer les raisons qui l’incitaient à vouloir dévoiler sa situation au plaignant après l’incident avec S… K… (n. s. du 25 mai 2007, p. 188 et 189).

[121] Pourquoi vouloir le dire au plaignant si cette relation est sans lendemain (n. s. du 25 mai 2007, p. 200)?

[122] Pourquoi vouloir le dire au plaignant si la relation fut, selon ses dires, « protégée » et donc, sans risque pour lui, selon ce que l’on lui avait enseigné?

[123] Pourquoi vouloir le dire au plaignant alors qu’il n’y avait pratiquement aucune chance que S… K… ne le revoit?

[124] Pourquoi, alors qu’elle est à refaire sa vie de couple avec S… K… et que l’affaire avec le plaignant est « sans lendemain », accepte-t-elle d’aller à un second pique-nique avec celui-ci?

[125] Au retour du pique-nique à ville B, S… K… les attend dans le but d’informer le plaignant de la condition médicale de l’accusée. Elle affirme ne pas avoir dit à S… K…, à son retour dans l’appartement, qu’elle avait informé le plaignant de sa condition (n. s. du 25 mai 2007, p. 187-188). Le témoignage de S… K… est pourtant à l’effet contraire (n. s. du 25 mai 2007, p. 39). Le Tribunal n’a aucune raison pour écarter le témoignage de S… K… sur cette question.

[126] De plus, elle tente de se justifier en établissant des dates.

[127] Par exemple, pour justifier sa décision de dévoiler sa situation médicale au plaignant même si cette relation était « sans lendemain » et qu’elle ne le reverrait plus, elle commencera par dire qu’elle doit le revoir au soccer pour ensuite dire, quelques pages plus loin, que la saison de soccer était terminée au moment du pique-nique à ville B (n. s. du 25 mai 2007, p. 189 et 195). Il n’y avait donc plus de chance qu’elle le croise au soccer si la saison de soccer était terminée.

[128] Elle affirme avoir dévoilé sa situation médicale au plaignant avant le 31 août 2000 (n. s. du 25 mai 2007, p. 194). Pourtant, cet aspect de son témoignage est clairement contredit par les notes au dossier du Dr Klein ainsi que par le témoignage de celle-ci. Ensuite, elle dira que c’est à la fin août ou au début septembre qu’elle a dévoilé sa condition médicale au plaignant (n. s. du 25 mai 2007, p. 196 et 215).

[129] Elle nie avoir parlé de condom brisé avec le Dr Klein lors de leur rencontre du 31 août 2000 et elle attribue cette méprise à une mauvaise compréhension du médecin.

[130] L’accusée commence par dire qu’elle n’a pas parlé de condom brisé (n. s. du 25 mai 2007, p. 207) et qu’il y a eu mauvaise compréhension de la part du médecin quand celle-ci lui a recommandé d’informer son nouveau partenaire de son état (idem) pour par la suite nous donner la réponse suivante : « Parce que là … oui. Okay. La conversation c’est que je lui dis « J’ai un nouveau partenaire sexuel. J’ai utilisé un condom et malgré la certitude ou tout ce que j’ai appris durant toutes ces années qu’un condom c’est sécuritaire, puis que ça ne brise pas si c’est bien mis, il reste que ça m’a traversé l’esprit, si le condom brise, je ne lui ai pas dit ». J’ai dit « J’ai eu peur que le condom brise. Même si je sais qu’un condom c’est solide, j’ai eu peur que le condom brise »» (n. s. du 25 mai 2007, p. 208).

[131] Puis elle ajoute que le médecin lui a dit ce qui suit : «Peut-être que vous pourriez lui, je vous recommanderais peut-être de lui dire que vous êtes séropositive » (Idem).

[132] Le Tribunal a eu l’occasion de voir et d’entendre le Dr Klein témoigner en français et, non seulement s’exprime-t-elle très bien en français, mais elle le comprend également très bien. Il ne fait aucun doute que le Dr Klein ne s’est pas méprise sur les propos de l’accusée.

[133] Les explications que l’accusée donne sur ce sujet sont loin d’être convaincantes et elles sont même, par moments, invraisemblables.

[134] La preuve révèle que S… K… n’a jamais rencontré le Dr Klein. Comme ils se sont laissés à la fin septembre 2000, qui donc le Dr Klein peut-elle avoir rencontré si ce n’est le plaignant?

[135] Après avoir d’abord témoigné que sa seule relation sexuelle avec le plaignant s’est produite fin juillet, début août 2000, soit quelques jours après le pique-nique au Mont St-Hilaire, elle tergiverse encore au moment d’expliquer le temps où elle a dévoilé sa condition au plaignant. Lorsque confrontée aux notes du Dr Klein du 31 août 2000, dans lesquelles elle indique avoir eu ses relations sexuelles le 26 août 2000, elle tergiverse encore et devient confuse (n. s. du 25 mai 2007, p. 215 et ss).

[136] La même chose se produit lorsqu’elle doit situer le moment où elle dévoile sa condition au plaignant : a-t-il eu lieu avant la visite au Dr Klein du 31 août 2000? Elle ne sait plus quoi répondre (n. s. du 25 mai 2007, p. 217).

[137] Pourtant, les questions sont simples et précises.

[138] Elle est incapable d’expliquer le témoignage du Dr Klein qui mentionne que lors de la rencontre du 26 octobre 2000, l’accusée lui a dit avoir dévoilé son état à son nouveau partenaire et que celui-ci « a bien pris ça » (n. s. du 25 mai 2007, p. 217).

[139] Ceci démontre de façon non équivoque que c’est après le 31 août 2000, mais avant le 26 octobre 2000 qu’elle a dévoilé sa condition au plaignant.

[140] Elle tente d’atténuer la portée du témoignage du Dr Klein qui dit avoir rencontré le plaignant dans les six mois (témoignage du 7 septembre 2007) en disant que le médecin a mentionné que c’était « à sa souvenance ». Le Tribunal n’entretient aucun doute à ce sujet et le témoignage du Dr Klein est entièrement retenu sur cette question.

[141] Elle maintient que c’est au printemps 2004 que le plaignant et le Dr Klein parlent de l’indétectabilité. Il est invraisemblable de croire que le plaignant aurait attendu plus de trois ans pour parler de cet état avec le Dr Klein, surtout qu’il l’a rencontrée dès le début de leur relation. Il est beaucoup plus vraisemblable qu’ils en aient parlé bien avant cela. Le Tribunal retient le témoignage du Dr Klein à ce sujet et retient qu’ils en ont parlé au tout début de la relation, peu après que celui-ci ait appris la condition médicale de l’accusée. D’autant plus que le témoignage du Dr Klein permet de savoir que l’accusée était «indétectable» de l’été 2000 jusqu’au mois de mars 2001.

[142] Quand elle parle d’une relation sexuelle non protégée survenue en 2004, elle passe d’une affirmation très catégorique à une affirmation qui l’est beaucoup moins quand il est question de savoir si elle lui a demandé s’il avait mis un condom.

[143] Son comportement, après les évènements de novembre 2004, est pour le moins étrange :

  1. a) d’abord, elle laisse son fils avec le plaignant entre le 16 novembre 2004 et le 13 décembre 2004 et les explications qu’elle tente de donner pour justifier ce geste sont pour le moins invraisemblables pour ne pas dire déraisonnables;
  2. b) le 14 décembre 2004, elle se rend, accompagnée de sa mère et son beau-père, au domicile où elle habitait avec le plaignant pour voir si celui-ci est parti. Il n’y est pas, mais elle n’entre pas sur les conseils de son beau-père et ne récupère rien à ce moment;
  3. c) le 21 décembre 2004, elle y retourne avec son fils qui lui dit de ne pas entrer, car le plaignant est présent, mais elle choisit tout de même d’entrer bien qu’elle mentionne avoir peur de lui et avoir justement voulu se soustraire de lui par son geste du 16 novembre 2004, qu’elle dit ne pas être une tentative de suicide, même si pour le Tribunal cela en a toutes les apparences.

[144] Son comportement lors des évènements du 21 décembre 2004 est à n’y rien comprendre puisqu’elle ajoute qu’elle voulait y aller accompagnée de policiers tellement elle ne voulait pas être en présence du plaignant.

[145] Les raisons invoquées par l’accusée pour ne pas divulguer sa condition au plaignant sont purement centrées sur elle-même et laissent voir qu’elle n’a qu’un seul souci : celui de protéger son fils et elle-même de tout ce qui pourrait les affecter advenant que sa condition ne devienne connue du plaignant ou de son fils.

[146] Elle répète ce scénario au moment où S… K… veut prendre l’initiative d’annoncer au plaignant l’état de santé de l’accusée : c’est par crainte que le voisinage l’apprenne qu’elle ne veut pas que S… K… fasse un tel dévoilement.

[147] Aussi nobles que puissent paraître ses raisons de ne pas dévoiler sa condition au plaignant, elle ne peut se justifier de cette façon et, plus particulièrement, il est impensable de permettre une telle justification compte tenu des enjeux énormes qu’implique une relation sexuelle avec une personne séropositive.

[148] Il est à remarquer que l’accusée, lorsqu’elle apprend qu’elle est séropositive en 1991, se renseigne sur cette maladie. Elle veut savoir comment on infecte les gens, si elle peut embrasser son fils sans l’infecter, sur les conséquences pour elle-même d’attraper une autre maladie, par exemple grippe, etc. vu son système immunitaire fragile. Pourtant, sachant tout cela, elle décide de ne pas dévoiler sa condition au plaignant.

[149] C’est encore plus étonnant lorsque l’on constate qu’elle a dévoilé son état de santé dans le passé à des partenaires antérieurs, c’est-à-dire en 1994 (n. s. du 25 mai 2007, p. 169), en 1997 (n. s. du 25 mai 2007, p. 70) bien qu’il appert que cet homme était au courant puisqu’il travaillait dans un organisme où elle se rendait et, en 1999 alors qu’elle a entrepris une relation avec S… K… qui, selon elle, le savait déjà. Dans ce dernier cas toutefois il faut préciser qu’elle ignorait que celui-ci le savait jusqu’à ce qu’elle le lui dise (n. s. du 25 mai 2007, p. 71).

[150] Pour toutes ces raisons, le Tribunal ne retient pas le témoignage de l’accusée et ajoute que le témoignage de cette dernière, de même que celui des témoins qu’elle a fait entendre, ne soulèvent pas de doute raisonnable.

[151] Il reste à déterminer si la Poursuivante a démontré hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusée.

[152] La crédibilité du plaignant est également entachée par sa façon de témoigner et de se comporter tout au long de la relation et même après celle-ci.

[153] Il est vrai qu’il attend quatre ans après le fait pour porter plainte. Il est vrai qu’il est difficile de ne pas voir dans cette démarche une certaine vengeance pour la façon dont s’est terminée leur relation. L’amertume est palpable.

[154] Il est vrai qu’il a eu d’autres relations sexuelles avec l’accusée, mais c’était après qu’elle lui ait dévoilé sa condition médicale et en toute connaissance de cause.

[155] Il est vrai qu’il se trompe quant aux endroits où il prétend avoir fait l’amour avec l’accusée avant qu’elle ne lui divulgue son état de santé. Il est vrai qu’il n’est pas très précis quant aux nombres de relations sexuelles qu’ils ont eues avant qu’elle ne lui divulgue son état de santé.

[156] La crédibilité du plaignant est également affectée lorsqu’il mentionne avoir discuté avec le Dr Klein des relations sexuelles non protégées qu’il aurait eues avec l’accusée alors que le Dr Klein n’a aucun souvenir de telles discussions et surtout, n’a aucune note de telles discussions. Le Tribunal est d’avis que si ce sujet avait été discuté, le Dr Klein aurait des notes à cet effet.

[157] La crédibilité du plaignant est également affectée par le fait qu’il mentionne avoir rencontré le Dr Klein à tous les rendez-vous alors que ce n’est pas ce que le Dr Klein mentionne dans son témoignage.

[158] La crédibilité du plaignant est également affectée par le témoignage du policier Larouche. Bien qu’il ait nié avoir tenu au policier, les propos que celui-ci lui prête, le Tribunal n’a aucune raison de rejeter le témoignage du policier lorsqu’il témoigne que le plaignant lui a dit:

158.1. que sa conjointe avait le sida et qu’elle le lui avait donné;

158.2. qu’il ne portait pas de condom car il n’aime pas cela;

158.3. qu’il continuait à avoir des relations sexuelles non protégées avec l’accusée, même après le dévoilement de sa condition.

[159] Même si la crédibilité du plaignant est minée, le Tribunal est toutefois d’avis qu’il y a au dossier un élément de preuve indépendant qui permet d’inférer qu’il n’y a pas eu usage de condom, venant ainsi corroborer le témoignage du plaignant sur ce point.

[160] Le 31 août 2000, l’accusée rencontre le Dr Klein et celle-ci note que l’accusée lui a dit avoir un nouveau partenaire et que le condom utilisé lors d’une relation sexuelle s’est brisé. De l’avis du Tribunal, pour les motifs expliqués précédemment, il n’y a eu aucun problème de compréhension de la part du Dr Klein. Les notes de celle-ci reflètent bien, selon le Tribunal, la teneur des propos que lui a tenus l’accusée ce jour-là.

[161] Par ailleurs, ce constat ne veut pas dire que ce qu’elle a dit au Dr Klein et que celle-ci a consigné dans ses notes représente la vérité.

[162] Les propos tenus par l’accusée au Dr Klein lors de la rencontre du 31 août 2000 ne laissent place qu’à deux scénarios possible :

  1. a) le premier : il y a véritablement eu usage d’un condom et il s’est brisé pendant la relation sexuelle;
  2. b) le second : elle a camouflé, de cette façon, à son médecin, son incurie d’avoir eu une relation sexuelle non protégée avec le plaignant et veut se faire rassurer à nouveau sur le risque qu’elle a délibérément créé pour le plaignant.

[163] Le Tribunal utilise l’expression « à nouveau » à escient, car il ressort clairement, autant de son propre témoignage que de celui du Dr Klein, qu’elle a déjà été informée à plusieurs reprises des risques que comportait la non-divulgation de sa condition médicale et une relation sexuelle non protégée.

[164] Le Tribunal rejette le premier scénario car l’accusée, lors de son témoignage, nie avoir tenu ces propos au Dr Klein. Les explications qu’elle offre pour tenter d’expliquer les notes consignées par le Dr Klein sont invraisemblables. Elle connaît déjà toutes les réponses aux prétendues interrogations qu’elle aurait formulées.

[165] Pourquoi aurait-elle voulu se faire rassurer au sujet d’un condom qui brise car selon les enseignements qu’elle a reçus, ça ne brise pas un condom?

[166] Quel est l’intérêt pour l’accusée de nier ce scénario qui, selon ce qu’on lui avait apparemment enseigné, aurait pu lui être favorable?

[167] Pourquoi ne pas dire la vérité à son médecin?

[168] La seule inférence qu’il est possible de tirer est qu’elle a voulu cacher à son médecin son incurie d’avoir eu une relation sexuelle non protégée avec son nouveau partenaire, le plaignant.

[169] Comme c’était contraire à tout ce qu’on lui avait dit, il devenait beaucoup plus facile pour elle de déformer la vérité à son médecin traitant que de lui dire qu’elle avait eu une relation sexuelle non protégée.

[170] Craignait-elle la réaction de son médecin traitant si elle lui avouait une relation sexuelle non protégée? Voulait-elle, comme le souligne la Poursuivante, cacher que dans ce cas particulier, « ce sont les pulsions sexuelles qui ont pris le dessus et que ce n’était plus une question rationnelle, mais plutôt une attirance sexuelle qui primait avec le plaignant et, en conséquence, elle mettait de côté toutes les choses apprises » ?

[171] Quoi qu’il en soit, le Tribunal est d’avis que la conduite de l’accusée, lors de sa rencontre avec le Dr Klein, le 31 août 2000, permet d’inférer qu’il y a eu relation sexuelle non protégée dans le présent dossier.

[172] Qu’en est-il maintenant de la circonstance aggravante, à savoir que la voie de fait reprochée a mis la vie du plaignant en danger?

[173] Pour trancher cette question, le Tribunal est d’avis qu’il faut revenir à l’arrêt R. c. Cuerrier, précité :

127 …L’omission de divulguer la séropositivité peut conduire à une maladie dévastatrice ayant des conséquences mortelles. Dans ces circonstances, il existe une obligation absolue de divulguer…

128 …À mon avis, le ministère public devra établir que l’acte malhonnête (les mensonges ou l’omission de divulguer) a eu pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves. Le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisferait clairement à ce critère

129 …Encore une fois, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, il doit y avoir un risque important de lésions corporelles graves pour qu’il soit satisfait aux exigences de l’article. En l’absence de ces critères, il n’y aura aucune obligation de divulguer. (Soulignés du soussigné).

[174] Comme le fait remarquer la Cour suprême, au paragraphe 132 du même arrêt, les voies de fait graves sont une infraction très sérieuse et :

…la déclaration de culpabilité d’agression sexuelle a de lourdes conséquences. En raison de la gravité de ces infractions, il est essentiel de s’assurer que la conduite en cause mérite les conséquences de la déclaration de culpabilité.

[175] Et au paragraphe 133, la Cour suprême ajoute :

…l’omission de divulguer la séropositivité a exposé les victimes à un risque important de lésions corporelles graves. Les dispositions du Code criminel relatives aux voies de fait s’appliquent et sont conçues pour punir ce type de comportement dangereux et déplorable, et pour dissuader les gens de l’adopter.

[176] La conclusion de la Cour suprême, au paragraphe 147, permet de constater que même si toutes les conditions sont remplies, la déclaration de culpabilité ne doit pas être rendue à la légère et être un automatisme :

En résumé, la personne qui sait qu’elle est séropositive et qui a des rapports sexuels non protégés sans divulguer son état de santé à son partenaire peut être déclarée coupable de violation des dispositions de l’art. 265 du Code criminel. Cet article protège, par voie de dissuasion, les personnes qui se trouvent dans la situation des plaignantes. À l’instar de tant de dispositions du Code, cet article vise à protéger la société et ce rôle de protection doit être reconnu et respecté. C’est bien le moins que les autorités en matière de santé publique soient soucieuses d’éviter que leur lutte contre le sida ne soit pas entravée. Le Code criminel a toutefois un rôle à jouer. Grâce à la dissuasion, il protégera et contribuera à encourager l’honnêteté, la franchise et les pratiques sexuelles moins risquées. Si l’application du Code criminel nuit effectivement à la lutte contre le sida, il appartiendra au législateur de déterminer s’il y a lieu de réduire la protection accordée par le Code et de miser exclusivement sur les mesures en matière de santé publique pour lutter contre ce fléau. (Soulignés du soussigné).

[177] Ceci étant, la conduite en cause mérite-t-elle « les conséquences de la déclaration de culpabilité »?

[178] À cette étape, un retour sur le témoignage des experts s’impose.

[179] Le témoignage du Dr Klein est à l’effet que même sans protection, le risque de transmission lors d’un acte sexuel, lorsque c’est la femme qui est infectée, est de un sur mille, et ce, peu importe la charge virale. Si la femme est indétectable, ce risque passe à un sur 10 000. Dans les mêmes circonstances, s’il y a usage d’un condom, ce même risque passe à un sur 50 000. Le Dr Routy témoigne au même effet. Tous les deux s’entendent pour dire que le risque ne sera jamais de zéro.

[180] Le Dr Klein est d’avis qu’il « faut décider ensemble s’il veut prendre ce risque-là ». Elle parle manifestement du partenaire sexuel séronégatif.

[181] Ceci étant, le Tribunal ne peut endosser les propos du Dr Routy quand il dit :

Si les gens divulguent leur état dès le début d’une relation, il n’y a plus de relation humaine qui s’établie. Si dès le premier jour où vous voyez quelqu’un et que vous déclarez être séropositif, une heure après, vous êtes tout seul.

Je ne pense pas que dans la vraie vie, ce soit une attitude humainement faisable ou c’est très difficile. Les gens le disent quand ils le jugent nécessaire ou quand ils le peuvent et certaines personnes ont essayé honnêtement de le dire et deux minutes après tout s’arrête. Je ne pense pas qu’il y ait de loi, de directives, de recommandations médicales quant à comment divulguer ou ne pas divulguer leur maladie qui reste la liberté individuelle de la personne.

[182] Après tout, on ne parle pas ici de la possibilité d’attraper un rhume ou une autre maladie bénigne, mais d’une maladie où l’omission de divulguer « peut conduire à une maladie dévastatrice ayant des conséquences mortelles »[7].

[183] Ayant déjà conclu qu’un acte malhonnête avait été posé par l’accusée, à savoir, la non-divulgation de son état de santé, le Tribunal en vient à la conclusion que cet acte malhonnête a eu pour effet d’exposer le plaignant à un risque important de lésions corporelles graves étant donné qu’il s’agissait de rapports non protégés.

[184] D’ailleurs, la Cour suprême reconnaît que « le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisferait clairement à ce critère »[8].

[185] Y a-t-il eu une ou plusieurs relations sexuelles non protégées?

[186] Bien que le Tribunal ne retienne pas le témoignage de l’accusée et que celui-ci ne soulève pas de doute raisonnable, pour les raisons expliquées précédemment, le témoignage du plaignant n’est pas retenu sur cette question pour les raisons invoquées antérieurement. C’est ainsi que sur cette question, la preuve ne démontre pas hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu plus d’une relation sexuelle non protégée avant que l’accusée informe le plaignant de sa condition médicale.

[187] Qu’en est-il maintenant du chef d’agression sexuelle?

[188] La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Williams, précité, fait le constat suivant :

  1. À n’en pas douter, la complexité de l’infection à VIH crée des difficultés dans une poursuite pour voies de fait graves. Il aurait été possible de porter d’autres accusations, comme celles d’agression sexuelle, par exemple.

[189] Elle énonce ensuite les éléments constitutifs d’une agression sexuelle :

  1. En ce qui a trait à l’actus reus, le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments d’une agression sexuelle. Il a établi que l’intimé (i) avait fait subir à la plaignante un contact physique (ii) de nature sexuelle (iii) sans consentement valide.

[190] La preuve révèle-t-elle, hors de tout doute raisonnable, les éléments suivants :

  1. a) l’accusée a fait subir au plaignant un contact physique;
  2. b) de nature sexuelle;
  3. c) sans consentement valide.

[191] La preuve révèle hors de tout doute raisonnable que l’accusée a fait subir au plaignant un contact physique.

[192] La preuve révèle hors de tout doute raisonnable que ce contact physique était de nature sexuelle.

[193] Et pour les motifs expliqués précédemment, la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que le consentement du plaignant n’était pas valide.

[194] Aucune conséquence aggravante n’est rattachée à ce chef d’accusation.

[195] La preuve de bonne réputation présentée par l’accusée ne lui est d’aucun secours dans le présent dossier compte tenu de la nature des infractions reprochées. Qu’elle ait été informée des conséquences de sa maladie et qu’elle se soit toujours montrée prudente dans le passé, n’exclut pas la possibilité qu’elle ait, au moins une fois, passé outre les recommandations avec le plaignant.

[196] Très récemment, la Cour d’appel s’exprimait ainsi sur cette question : « Quant à la bonne réputation et aux habitudes sexuelles ou traits de caractère, on peut signaler immédiatement que ce n’est pas le plus efficace des moyens de défense à une accusation d’agression sexuelle »[9].

[197] La défense soulève également « l’erreur commise de bonne foi » par l’accusée à la suite d’informations reçues. L’accusée mentionne qu’elle a suivi les recommandations des médecins au moment d’avoir ses relations sexuelles avec le plaignant.

[198] Qu’en est-il?

[199] Pour que le Tribunal retienne ce moyen, il devrait d’abord retenir le témoignage de l’accusée. Pour les motifs déjà énoncés, son témoignage n’est pas retenu.

[200] De plus, le Tribunal est d’avis que ce moyen ne saurait être recevable dans le présent dossier compte tenu de l’attitude adoptée par l’accusée avec ses partenaires sexuels antérieurs, soit de leur dévoiler avant même les premiers contacts sexuels son état de santé, ce qu’elle n’a pas fait avec le plaignant. Il serait déraisonnable de retenir cette explication pour valider sa conduite au moment des infractions reprochées. Elle ne peut se retrancher derrière ce moyen au gré de ses humeurs et de ses fantaisies.

[201] Ajoutons que les contraintes qu’elle évoque pour justifier son silence avec le plaignant existaient de la même façon à l’époque où elle a eu des partenaires antérieurs à qui elle en a pourtant fait part avant d’avoir des relations sexuelles avec ceux-ci.

POUR TOUTES CES RAISONS, LE TRIBUNAL :

[202] DÉCLARE l’accusée coupable des deux chefs d’accusation portés contre elle.

 
  __________________________________

MARC BISSON, J.C.Q.

 
Me Caroline Fontaine
Procureure de la Poursuivante
 
Me Noël St-Pierre
Procureur de l’accusée
 
 
Date d’audience : 24 et 25 mai 2007, 23 août 2007, 7 et 10 septembre 2007
     

 

[1] [1998] 2 R.C.S. 371.

[2] [2003] 2 R.C.S. 134.

[3] [1991] 1 R.C.S. 742.

[4] [1999] 1 R.C.S. 330 (paragr. 26-27).

[5] [1947] R.C.S. 268.

[6] R. c. Atif, C.A.Q. 500-10-001728-995, 10 juillet 2001 (J.E. 2001-1428).

[7] R. c. Cuerrier, précité, paragr. 127.

[8] R. c. Cuerrier, précité, paragr.128.

[9] Chevreuil c. R., (2008) QCCA 82.